Sylvie Brunel, grand témoin du congrès du maïs 2022

Le Congrès annuel s’est déroulé à Pau les 23 et 24 novembre et a réuni près de 700 personnes de la filière maïs. L’Assemblée Générale de l’AGPM, en clôture du Congrès le jeudi 24, a réuni un grand nombre d’intervenants sur des sujets majeurs, tels que l’énergie, l’accès à l’eau,  la captation et stockage du carbone.

Sylvie Brunel, géographe à la sorbonne, est intervenue en tant que grand témoin.

Sylvie Brunel grand témoin de l'AG AGPM le novembre 2022

Vive les maïsiculteurs !

Pascal Berthelot, animateur : Sylvie, vous êtes notre ambassadrice. Vous avez déjà pris la parole tout à l’heure. Tout le monde vous connaît écrivain, écrivaine – vous me direz comment il faut dire ! Géographe et surtout enthousiaste et communicative. Mesdames et Messieurs, une ovation pour Sylvie Brunel.

Sylvie Brunel :
« Monsieur le ministre de l’Agriculture, Monsieur le Maire et Haut-Commissaire au Plan, cher François. Madame la Présidente, chère Christiane. Monsieur le Président, cher Daniel. Cher Éric, cher Arnaud, chers amis de la grande famille du maïs que j’ai eu la chance de découvrir il y a maintenant quinze ans grâce à Luc Esprit, et aujourd’hui, avec Céline Duroc. Et je les remercie beaucoup tous les deux, ainsi que Daniel, de m’avoir accordé cet immense privilège d’être aujourd’hui le grand témoin de votre congrès et surtout de l’être au cœur du pays du maïs, dans ce magnifique palais Beaumont, après cette apologie du maïs que nous a faite François Bayrou, une magnifique apologie – et je vous propose d’ailleurs de rebaptiser tout de suite le palais Beaumont, le Palais du Maïs.

Mon intervention sera brève car nous sommes nombreux ce matin et il faut laisser la place au ministre de l’Agriculture. Mais justement, je voudrais, monsieur le Ministre, lancer un cri d’alarme. L’heure est grave. L’heure est grave depuis le Covid. Depuis la guerre en Ukraine, Avec l’inflation, avec les crises climatiques, l’arme alimentaire est revenue dans le monde. La faim touche 1 milliard de personnes. En France, une personne sur cinq doit se serrer la ceinture. Vous avez vu d’ailleurs que les banques alimentaires viennent de lancer leur collecte nationale. L’Europe est aujourd’hui en grand danger de perte de souveraineté. Souveraineté énergétique. C’est une évidence puisqu’elle s’était mise dans les pattes de l’ours russe et se trouve aujourd’hui dans celle de l’oncle Sam pour sa défense et ces gaz de schiste qu’elle refusait hier. En France, on nous annonce des coupures électriques en janvier.

Qui aurait pu imaginer pareille déchéance ?

Le retour au principe de réalité conduit nos autorités à remettre en selle le nucléaire qu’elles ont longtemps négligé. Et elles nous appellent à la sobriété, de peur d’un black-out énergétique. Et ce gouvernement a été obligé de déployer un bouclier tarifaire pour les ménages. Mais, hélas, et nous en avons beaucoup parlé au cours de ces deux journées, pas pour le secteur productif. Et les entreprises agricoles souffrent. Cela pose une question essentielle : ce qui se passe pour l’énergie risque aujourd’hui d’arriver pour l’agriculture.

Que montre ce congrès en effet ? Que nos producteurs agricoles croulent sous les charges de structure. On a parlé de 300 millions d’euros en plus tout à l’heure. L’énergie, les pénuries, la flambée des prix, les problèmes de main d’œuvre, les problèmes climatiques. Mais les problèmes aussi d’une attitude sociétale et médiatique, particulièrement d’ailleurs de la part des médias du service public – cherchez l’erreur ! – qui est inacceptable, scandaleuse, à l’égard de ceux qui nous nourrissent et nous font vivre. Et cette table ronde, qui vient de se dérouler, l’a montré comme l’intervention de François Bayrou. Non seulement ils nous nourrissent, mais ils nous apportent de l’énergie et de la chimie verte et renouvelable. Ils façonnent les paysages que nous aimons et qui sont d’ailleurs les héritages d’une longue tradition agraire. Tout à l’heure, Marc Dupouy nous a rappelé que sans maïs, il n’y avait pas de Pyrénées-Atlantiques.

Ils inventent toutes les réponses pour répondre à nos peurs, ces peurs que tissent des organisations que seule préoccupe leur propre perpétuation. Peur des pollutions ? Mais les agriculteurs mettent tout en œuvre pour produire plus, avec moins et mieux. Peur des chocs climatiques ? Mais les maïsiculteurs, les sylviculteurs, comme les éleveurs, stockent le carbone et permettent à la France de mener ses plans climat. N’oubliez pas qu’elle s’est engagée sur la neutralité carbone en 2050 au sein de l’Europe !

Oui, il est inacceptable de voir, d’un côté, des agriculteurs qui s’engagent, dans un contexte difficile pour continuer à nous nourrir, et, de l’autre, une société ingrate et amnésique. Amnésique, car nous avons longtemps connu la faim, qui continue de sévir dans le monde. Ingrate, car plus les agriculteurs en font, plus on leur en demande, avec des injonctions qui ne sont ni réalistes ni acceptables. La société est devenue un Moloch qui dévore ses propres enfants et le maïs concentre les attaques. Monsieur le ministre, vous nous avez dit qu’il était la victime expiatoire de nos peurs. Il est devenu le bouc émissaire, le bouc émissaire de tous ces jeunes qui se cherchent un avenir et ne le trouvent pas. Parce qu’en fait, on les a paniqués. Les néo ruraux, comme certains médias, en font la cible privilégiée de leurs attaques. Il volerait et gaspillerait l’eau. Il serait une culture inadaptée au réchauffement climatique, contrairement, vous l’avez tous entendu, au merveilleux sorgho. Et c’est intéressant d’ailleurs de faire des parallèles. Est-ce qu’on dit à Arnaud Rousseau, de la FOP qu’il faut qu’il remplace le colza et le tournesol par les cacahuètes ? Ou à Eric Thiroin, le blé tendre par le blé dur ? Non, c’est toujours le maïs qui suscite l’ire. Il servirait une agriculture industrielle, productiviste, dont nous n’aurions nul besoin. Bref, il faudrait en abolir la monoculture, et même la culture. Et Eric Thirouin, comme Franck Laborde, comme Pierre Blanc, nous ont bien expliqué l’absurdité, les dangers de ces injonctions.

Monsieur le ministre, merci d’être venu à ce congrès. Mais les maïsiculteurs ont besoin que votre voix se fasse entendre, qu’elle porte plus haut et plus fort que les contempteurs du maïs. Dites leur que stocker l’eau, c’est une nécessité pour anticiper le changement climatique, pour faire face à des étés de plus en plus secs et chauds, que le maïs est la plante qui valorise le mieux l’eau reçue – nous l’avons entendu plusieurs fois au cours de ce congrès – par une productivité sans égal, par des services environnementaux innombrables, par une capacité de stockage du carbone qui permet aux maïsiculteurs de compenser les émissions du transport routier. En France, les urbains roulent, les paysans réparent ! Que le maïs est la plante de la sécurité alimentaire. Sécurité alimentaire à la fois des pauvres, par des rendements exceptionnels, au point que sa culture progresse partout dans le monde, et qu’elle est devenue la céréale la plus échangée sur les marchés mondiaux, avec le blé, bien sûr, cher Eric. Mais elle accompagne aussi la sortie de la classe moyenne de la pauvreté en lui permettant d’avoir accès à des protéines nobles et indispensables, celles issues de l’animal. Indissociable de l’élevage, de l’industrie agroalimentaire, de l’énergie, le maïs fait de notre pays une grande puissance nourricière, gastronomique, paysagère, première terre d’accueil des touristes au monde. On a vu tout à l’heure avec Marc Dupouy, le nombre d’IGP, d’AOP, de Labels Rouges qui, dans les Pyrénées-Atlantiques, doivent tout au maïs. Un grain de maïs débouche toujours sur un grand produit ! Et la France, grâce à son industrie semencière, grâce à ses agriculteurs multiplicateurs, est la première exportatrice de semences de maïs au monde.

Mais tenir son rang est de plus en plus difficile pour cette filière de la semence, qui ne se sent pas suffisamment reconnue, soutenue. Nous voyons d’ailleurs le président de la République se précipiter en Égypte pour défendre l’Amazonie, pour rencontrer Lula. Mais vous avez entendu ce dont nous a parlé Francis Bucaille, c’est à dire le principe des « fleuves volants » dont on gratifie l’Amazonie. Eh bien, elle devrait pousser notre président à défendre toutes ces Amazonie de proximité, toutes ces infrastructures agroécologiques, cette biodiversité nourricière qui stockent beaucoup plus de carbone que les forêts tropicales.

Nous voyons Paris et Strasbourg défendus par la création d’immenses réservoirs en amont, qui deviennent de grandes zones de biodiversité, d’attractivité touristique. Mais le monde agricole qui nourrit la France et le monde, qui est donc le premier exportateur de semences au monde, qui accomplit des performances, autant en quantité qu’en qualité, qu’en écologie, n’a pas le droit de faire des retenues. Ces retenus, pourtant, stockent une eau abondante en hiver qui va se perdre dans la mer ! Il faut se mobiliser face à cette guerre des piscines contre les prétendues bassines ! Nous sommes le pays record des piscines privées en France et ces piscines sont traitées, massivement traitées. Mais dès que l’agriculteur veut, sur sa propriété, faire une réserve de substitution, eh bien cette réserve est attaquée, elle est détruite. Nous avons parlé ce matin des limites de cette justice qui est devenue trop politique, de ces élus de la République qui viennent défendre la désobéissance civile. Ce n’est pas acceptable ! Est-ce un luxe de stocker l’eau alors que la faim guette, et que l’eau en été, c’est la vie, la biodiversité, les oiseaux, les pêcheurs, le stockage de carbone… et ces libellules, dont Sud-Ouest déplorait hier la disparition ?

Et puis, face au Covid, nous avons découvert notre vulnérabilité et avons mobilisé la recherche pour mettre au point, en un temps record, des vaccins ARN qui ont sauvé des millions de vies. Et vous le savez, santé humaine, santé végétale, santé animale, forment un tout, une seule santé. Alors pourquoi ceux qui nous nourrissent et nous protègent se voient-ils interdire les moyens de faire face aux ravageurs de notre agriculture ? Et le terme ravageur est entendu dans un sens très large… Il faut défendre le monde agricole contre les agressions, toutes les agressions, mobiliser le génie génétique pour faire face au changement climatique, cesser d’interdire des molécules que le monde entier utilise, et dont l’interdiction en France, en Europe, conduit certaines filières à des impasses techniques. La punaise diabolique. Les altises, La drosophila suzukii, pour les agriculteurs de la Drôme, dont beaucoup sont présents dans cette salle … Il y a aujourd’hui en France beaucoup de filières en grand danger : les cerises, les amandes, l’arboriculture fruitière…

Pourtant nous avons les réponses : biocontrôle, nouvelles variétés, nouvelles conduites des cultures… Les agriculteurs savent le faire ; l’innovation est dans leur ADN, comme l’a rappelé tout à l’heure Jean-Marc Schwarz. Le plan Ambition 2025, dont a parlé Anne-Claire Vial, montre qu’ils sont au taquet pour répondre aux engagements de la société ! Encore faut-il qu’ils puissent le faire sans être en permanence accablés par les critiques d’une société qui ne connaît rien de leur travail. Par les coûts, avec ces charges de structure qui explosent, mais aussi par les contrôles incessants. Dont ceux des nouveaux cowboys de la biodiversité, qui arrivent armés dans les exploitations pour exercer sur les agriculteurs une suspicion telle que certains parfois en viennent à des solutions définitives. Et je pense à cet agriculteur de l’Oise qui, il y a quelques jours, s’est donné la mort.

Les agriculteurs ne sont pas coupables, ils sont responsables, ils ne sont pas pollueurs, ils sont créateurs du vivant et ils méritent le respect. Chaque année, la France perd 2 % de ses exploitations agricoles. Un départ sur trois ne trouve pas de repreneur. Les micro modèles se multiplient. Ils ont la faveur des médias, mais leurs exploitations ne sont souvent ni durables ni généralisables. Ceux qui se sont engouffrés dans le bio sont confrontés à des débouchés de bobos !

Nos producteurs sont stratégiques pour garder vivant les territoires. Le maïs est une plante vitale pour faire face à tous les enjeux du développement durable. Les tables rondes de ce matin l’ont montré, les propos extrêmement lyriques et beaux de François Bayrou l’ont prouvé. Mais ceux qui le cultivent ont besoin d’être reconnus, d’être soutenus. Après s’être désindustrialisé, la France risque de se désagriculturaliser. Revenons, comme pour l’énergie, au principe de réalité ! La France nation verte, a dit Élisabeth Borne pour lancer son grand chantier de planification écologique. Mais qui est plus vert que les agriculteurs ? Faisons de l’agriculture une grande cause nationale. Faisons du maïs un des piliers de notre souveraineté. Redonnons espoir et confiance à ces 700 producteurs et acteurs de la filière maïs qui ont fait le voyage pour se retrouver ensemble dans ce nouveau palais du maïs qu’est le palais Beaumont.

Sans eau, sans OGM, sans gaz, sans phyto, sans azote, l’Agriculture n’est pas possible. Or elle est plus que jamais nécessaire pour permettre à la France de rester une grande puissance forte et nourricière. Il nous faut préserver la céréale la plus prolifique, le grain des dieux.

Nous sommes tous finalement de nouveaux Mayas ! Et que s’est-il passé dans le Yucatan? Eh bien, la déprise, la forêt ont recouvert les infrastructures extraordinaires qu’avaient construites des civilisations brillantes, qu’on ne redécouvre qu’aujourd’hui seulement.

Ne laissons pas dans nos campagnes la déprise et l’incendie gagner face à ces territoires soignés, construits, ordonnés, que le monde agricole met en œuvre.

Ne laissons pas le ciel nous tomber sur la tête ! Nous pouvons agir au lieu de subir. Ne laissons pas le découragement nous engluer, alors que nous avons tous les moyens, et nous l’avons vu au cours de ces deux jours, d’apporter toutes les réponses dans tous les domaines, dans tous les secteurs, du développement durable aux peurs de la société.

Vive le maïs ! Vive ceux qui le cultivent ! Vive ceux qui nous font vivre ! Il faut le clamer haut et fort tous ensemble : vive les maïsiculteurs ! »

 

Sylvie Brunel à l'assemblée générale de l'AGPM Sylvie Brunel à l'AG AGPM 2022